Dans mon dernier article, j'ai commencé a vous expliquer comment élever des gozzers, les plus fameux asticots utilisés en Angleterre.
Laissez moi vous rafraichir la mémoire: nous en étions arrivés au stade ou les jeunes asticots venaient de naître, et je vous ai recommandé de les transférer dans un récipient plus grand pour leur donner plus d'air. Notre but maintenant est de les faire grossir. Combien de temps cela va-t-il prendre ? Voici a peu près comment vont se dérouler les opérations.Supposons que les mouches aient déposé leurs œufs un samedi soir. Le lundi suivant, dans la matinée, les premiers asticots commenceront à remuer : c'est à ce moment qu'il faut les changer de récipient. Le vendredi suivant, vous devriez constater que les bestioles se sont bien développées et ont mangé la quasi-totalité de la viande, en ne laissant que la peau. Elles se sont nettoyées elles-mêmes dans le son placé au fond du récipient.
Si, dans la période du lundi au vendredi, les asticots semblent consommer la viande plus vite que prévu, il est probable qu'il y avait plus d'œufs que vous ne le pensiez. Dans ce cas, il faut rajouter un autre cœur dans le récipient.
Supposons maintenant que vous avez l'intention de pêcher avec vos « gozzer » le samedi. Laissez les asticots dans le récipient jusqu'au samedi matin. A ce moment, enlevez le restant du cœur, en le secouant pour faire tomber les quelques asticots qui y seraient accrochés.
Cela fait, versez tout le contenu du récipient sur un tamis à mailles d'environ 3 mm, et secouez celui-ci vivement pour évacuer tous les déchets et le son que vous jetterez. Puis, posez le tamis au-dessus d'un récipient dans lequel tomberont les asticots en passant à travers les mailles. Il ne vous reste plus qu'à récolter vos « gozzer », à leur ajouter un peu de son propre : ils sont prêts à être utilisés.
J'insiste bien sur un point important : vous ne devez pas vous attendre à récolter, par le procédé que je viens de vous décrire, de grosses quantités d'asticots. Celles-ci (qui ne sont d'ailleurs pas nécessaires puisque je vous rappelle que le gozzer n'est destiné qu'à l'eschage et non à l'amorçage) ne peuvent être obtenues qu'en exposant aux mouches plusieurs kilos de cœur, ce qui, évidemment, revient assez cher. A tel point d'ailleurs que les éleveurs professtonnels utilisent, pour produire en grande quantité, des viandes meilleur marché — par exemple des volailles mortes achetées dans des fermes ou des poissons de mer.
Cette nourriture est cependant moins bonne et cela explique que les asticots qu'ils produisent sont moins bons que les véritables gozzers. Ceux-ci se caractérisent — et c'est ce qui fait leur grande qualité — par une blancheur absolue et par une «chair» très tendre, à tel point d'ailleurs qu'il faut prendre garde de ne pas les vider quand on les accroche à l'hameçon. Cette tendreté, toutefois, ne dure pas longtemps : deux jours tout au plus, après quoi le gozzer durcit et perd une bonne part de sa valeur péchante. Reste à savoir quand utiliser le gozzer.
En Angleterre, c'est avant tout le pêcheur de compétition qui l'utilise puisqu'il a souvent à affronter des conditions de pêche difficiles : le gozzer rapporte incontestablement plus de touches que l'asticot « normal », et spécialement dans les eaux lentes où la brème prédomine. Mais ce qui est valable pour la pêche de concours l'est également, bien évidemment, dans d'autres circonstances. Ainsi, par exemple, les spécialistes du gros poisson — nous les appelons les « chasseurs de spécimens » — emploient de plus en plus le gozzer, particulièrement pour la tanche, voire pour la carpe. N'allez pas jusqu'à conclure que c'est une esche miraculeuse : elle est seulement meilleure que beaucoup d'autres, et c'est déjà bien !
Je dois vous signaler aussi que le gozzer n'est pas recommandé pour la pêche en hiver :
c'est un asticot « délicat » — ce qui fait sa valeur — et fragile, qui ne résiste pas à l'eau froide dans laquelle il meurt immédiatement. En revanche, il est d'un rendement supérieur quand les eaux sont chaudes... et cela tombe bien puisque c'est la période à laquelle les mouches sont les plus abondantes.
Je pense que vous avez compris qu'en vous indiquant la méthode d'élevage des gozzers, je vous ai également donné le principe de base pour nourrir les autres sortes d'asticots. Le procédé est sensiblement le même. Cependant, ne perdez pas de vue qu'en voulant nourrir en même temps différentes sortes d'asticots, vous risquez de ne pas obtenir de résultats satisfaisants. Rappelez-vous également que la quantité d'asticots résultant de la méthode indiquée est faible.
Si vous envisagez de produire de grandes quantités, le problème est tout autre : il vous faut prévoir un véritable élevage, et vous aurez alors besoin d'avoir en permanence à disposition des mouches prêtes à pondre et en nombre suffisant.
Pour cela, une seule solution :
la réserve de mouches vivantes. Compliqué ? Pas autant qu'il y paraît et je vous indiquerai, dans un prochain article, comment procéder.
Mais auparavant, voyons quels sont, en dehors du gozzer, les autres asticots utilisés par les pêcheurs anglais.
Tout d'abord, un autre « spécial », l'annatto qui, teinté de l'intérieur, a une belle couleur jaune. Il a les mêmes qualités que le gozzer.
Puis, l'asticot de la mouche bleue, qui est surtout utilisé pour produire les casters (chrysalides lourdes).
Les asticots de la mouche verte sont plus petits ; nous les appelons « pinkies ». Ils sont essentiellement utilisés pour l'amorçage ou, sur l'hameçon, en « panaché » avec un asticot plus gros. Très appréciés des gardons, ils sont très remuants et ont toujours tendance à s'échapper du récipient où ils sont prisonniers.
Enfin, il ne faut pas oublier le « squatt », l'asticot de la mouche de maison, que nous considérons comme essentiel pour l'amorçage de la brème. L'élevage du « squatt » n'est cependant pas fait pour les gens délicats : la matière première est le fumier de porc. Je n'ai pas besoin de vous en dire plus...
Je vous conseille donc de vous en tenir d'une part aux gozzers et aux annattos, destinés à l'eschage, d'autre part aux « pinkies » pour l'amorçage (ou l'eschage dans les eaux très difficiles) et aux asticots de mouches bleus si vous voulez produire des « casters ».
Voyons maintenant de plus près l'annatto. Il peut être élevé exactement de la même façon que le gozzer, pour la bonne raison que c'est un gozzer... mais avec une petite différence. Et cette différence, c'est qu'on le « persuade », pendant sa croissance, d'accompagner la viande qu'il mange d'une certaine sauce. Cela a l'air simple, mais ce ne l'est pas toujours.
Mais d'abord, « annatto », qu'est-ce que cela veut dire ? C'est tout simplement le nom sous lequel nous désignons la teinture utilisée pour donner au beurre sa couleur jaune. Le plus curieux est que cette teinture n'est pas jaune mais marron-rouge ! On se la procure chez les grossistes qui fournissent les agriculteurs. Elle se présente sous deux formes : soit en bâtonnets, soit en poudre. Les bâtonnets sont meilleurs car la teinture est plus concentrée et plus facile à mélanger.
La première phase de l'élevage de l'asticot annatto est exactement la même que pour le gozzer : même matériel, même viande, mêmes mouches.
Il va falloir alors préparer la teinture. Vous prenez un petit récipient plastique et vous mettez dedans le bâtonnet d'annatto coupé en tranches très minces. Puis vous ajoutez petit à petit de l'eau chaude en mélangeant jusqu'à obtenir une pâte liquide. Attention : le mélange ne doit pas être épais.Reste alors à faire en sorte que les asticots ingurgitent cette « mixture ». Il y a alors un problème car s'il est une chose que l'asticot, par nature, n'aime pas manger, c'est bien l'annatto !
Il existe cependant un procédé pour obliger les asticots à avaler la teinture contre leur gré et à se retrouver colorés avant d'avoir réalisé ce qui leur arrive.
Je vous dirai comment procéder dans mon prochain article où je vous indiquerai également comment avoir des mouches prêtes à pondre toute l'année.